Vendredi, s’est tenue la traditionnelle cérémonie des César dans un contexte particulier et explosif avec la démission d’Alain Terzian, sur fond d’affaire Polanski et de fortes critiques adressées à l’Académie quant à son manque de diversité ainsi que d’ouverture.
Dans ce contexte, la mission de Florence Foresti s’apparentait à un improbable exploit. Si l’humoriste avait plutôt fait une entrée remarquée en rendant hommage au film Joker, l’ambiance assez pesante aura eu raison de ses blagues et autres sketches peu inspirants et surtout navrants. Malgré une bonne volonté, la comédienne semble avoir été à la peine tout au long de la soirée, couvant assez mal la crise qui traverse les César et le cinéma français et qui ne demandait qu’en réalité à s’exprimer, de manière claire, voire brutale.
A ce titre, c’est Aïssa Maïga qui a mis les pieds dans le plat en dénonçant – une nouvelle fois – le manque de diversité dans notre cinéma mais également la considération faite aux comédiens concernés. Si, sur la forme, sa prestation était largement ratée, suscitant un malaise palpable dans le public, sur la forme, l’intervention d’Aïssa Maïga est salutaire, ce qui explique sans doute les nombreuses attaques, souvent odieuses, qu’elle subit depuis.

Cet épisode n’était cependant rien comparé à ce qui allait suivre bien plus tard dans la soirée avec la victoire de Roman Polanski, au titre de la meilleure réalisation pour J’accuse. Si tout au long de la soirée, des comédiens comme Jean-Pierre Darroussin ont clairement affiché leur défiance face au cinéaste, tout comme Florence Foresti (sous un ton plus léger mais qui ne laissait place à aucune ambiguïté), la victoire (il faut bien le reconnaître) de ce dernier fut une surprise quelque peu étrange et inconfortable, faisant de lui le grand gagnant de la soirée et provoquant surtout le départ d’Adèle Hanael. L’interprète principale de Portrait de la Jeune fille en feu a quitté la salle Pleyel furieuse, tout comme la maitresse de cérémonies, laissant une fin particulièrement chaotique et éclipsant la distinction de Ladj Ly et des Misérables, mais aussi de Lyna Khoudri (Meilleur espoir féminin), de Swann Arlaud (Meilleur acteur dans un second rôle) ou encore La Belle époque sans oublier Anaïs Demoustier (Meilleure actrice) et Roschdy Zem (Meilleur acteur).
L’intervention d’Aïssa Maïga et le départ d’Adèle Hanael sont symptomatiques d’une « grande famille du cinéma français » en crise, une crise sérieuse. Dans le premier cas, ce n’est pas la première fois que des acteurs français d’origine subsaharienne, maghrébine ou encore asiatique dénoncent le traitement qui leur est accordé. Un positionnement que l’on est libre de critiquer et avec lequel on a le droit d’être accord ou non, mais qu’on ne doit en aucun cas balayer d’un revers de la main. La réaction de la salle Pleyel et – plus grave – celles sur les réseaux sociaux est symptomatique d’un malaise qui persiste dans le cinéma français, malgré des avancées notables, le livre d’Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier, étant une sérieuse piqure de rappel. Dans le second cas, la colère d’Adèle Haenel illustre bel et bien l’embarras dans lequel est plongé l’Académie dans le cadre de l’affaire Polanski et du comportement à adopter face à ce dernier, les uns voulant bannir l’homme et l’artiste, les autres, à l’instar de Costa-Gavras ou de Fanny Ardant, estimant que l’œuvre et son créateur doivent être célébrés, en toute indépendance d’esprit. Il faut dire qu’à ce propos, les déclarations de Franck Riester, ministre de la Culture et de la Communication, étaient contre-productives dans la mesure où, cela donnait le sentiment que le pouvoir politique faisait ingérence sur des choix artistiques, ce que certains, au sein de l’Académie, n’ont pas du manquer de le signifier en récompensant Roman Polanski, même si la façon de faire est (fortement) critiquable.
La 45ème cérémonie laissera, quoi qu’il en soit, un goût acre et amer dans la bouche, laissant une « grande famille du cinéma français » divisée, pour ne pas dire déchirée. Si dans toute famille qui se respecte, on se parle (comme l’a habilement fait remarquer Aïssa Maïga), il serait hasardeux de faire comme si de rien n’était, en mode business as usual. Au-delà de #MeToo et de #BlackCesar, l’Académie doit apporter des réponses fortes et claires, faute de quoi, le linge sale continuera à se laver sur la place publique tout comme les règlements de compte.
Bon courage à celui ou celle qui succédera à Alain Terzian !