Ken Loach est un homme engagé, mais surtout en colère qui n’hésite pas à livrer un regard sans concession mais aussi humain sur la société britannique, notamment les laissés pour compte. Un regard régulièrement salué par la critique en témoigne les nombreuses distinctions et récompenses.
Trois ans après le remarquable, Moi, Daniel Blake, Ken Loach redonne la parole à cette Angleterre qui se lève tôt pour un salaire de misère. Nous sommes à Newcastle, à la rencontre de Ricky. Marié à Abby, il a deux enfants. Sa femme est aide à domicile, sous le régime du contrat zéro heure, lui, il multiplie les petits boulots. Malgré tout, la famille reste soudée et n’abandonne pas son projet d’être enfin propriétaires. Un jour, Ricky, voulant profiter de la révolution numérique, se fait embaucher comme chauffeur-livreur dans une entreprise de portage de colis, sous le statut d’auto-entrepreneur. Pour l’aider à se lancer, sa femme vend, non sans réticence, sa voiture afin qu’il ait les fonds nécessaires pour acheter une camionnette. Ricky enchaîne les livraisons, pensant que ses efforts vont payer, sans se douter qu’il s’embarque dans une spirale infernale qui aura des répercussions nettes sur sa famille.
La start-up nation, si chère à notre Président de la République, et ses conséquences. Au départ, c’est avec optimisme mais aussi une certaine naïveté que Ricky s’embarque dans cette nouvelle aventure, censée lui garantir une vie meilleure. La crise financière de 2008 est en effet passée par là, réduisant à néant, son rêve d’être propriétaire. Etre officiellement à son compte, tout en travaillant régulièrement avec la société de livraison, c’est le moyen pour lui de se relancer et espérer enfin de sortir de l’ornière. Très vite, Ricky évolue dans un monde où les rapports de force sont, en réalité, inversés, laissant peu de place à la négociation, voire à l’humain. Derrière un discours prétendu moderne et bien soigné (par exemple, on ne dit pas « tu êtes embauché » mais « on t’embarque » ou encore on ne dit pas « tu ne travailles pas pour nous » mais « tu travailles avec nous »), se cache une réalité bien peu reluisante où Ricky enchaîne les livraisons, et surtout les heures. Tout est calculé, tout est à sa charge, il n’a pratiquement pas son mot à dire, doit tout assumer et tant pis s’il ne peut pas trouver une minute pour aller pisser.
A côté, la situation d’Abby n’est guère réjouissante. Aide à domicile, elle est payée à la visite et peut être mobilisée jusqu’à tard dans la soirée, ce qui un impact inévitable sur la vie de famille qui se résume à quelques coups de fil et un repas en commun. Ricky et Abby ne sont clairement pas heureux de cette situation et perdent de plus en plus le contrôle – notamment sur l’éducation de leurs enfants et en particulier de l’aîné, Sebastian – au risque de voir leur équilibre, déjà bien fragile, de plus en plus menacé. Prisonniers d’un système de plus en plus cynique et pervers – symbolisé notamment par le « patron » de Ricky, un homme remarquable pour son manque affolant d’empathie – où seule la quête du profit et de l’efficacité prévaut, Ricky et sa femme tentent de maintenir le cap. Mais jusqu’à quand ?
Sorry, we missed you livre une vision très critique et acerbe de ce qu’on appelle l’uberisation du monde du travail, un monde où toutes les règles sont détournées et les protections abolies, peu importe si des vies sont à terme broyées et jetées comme de vulgaires déchets. Un constat implacable sur cette Angleterre (mais pas seulement) pauvre et laborieuse qui tente, vaille que vaille, de survivre et qui, un moment ou un autre, finit par exprimer sa colère. Le Brexit en reste l’amer exemple.
Sorry, we missed you
Un film de : Ken Loach
Pays : Royaume-Uni
Avec : Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone, Katie Proctor, Ross Brewster…
Genre : Drame
Durée : 1h41
Sortie : le 23 octobre
Note : 17/20
Très bon cru de Ken Loach, et j’ai eu la chance de le voir présenter son film, c’était très émouvant.
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