Il existe toute sorte de films, notamment ceux à tonalité politique et ceux qui vous en jettent plein la figure, histoire de provoquer chez vous une prise de conscience. Des films dans lesquels, le réalisateur devient contre-enquêteur ou historien, resituant dans le contexte, un événement majeur, pour ne pas dire capital.
Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin, chef du parti travailliste et Premier ministre d’Israël se rend à la grande manifestation citoyenne et populaire en faveur des accords d’Oslo. Ce texte signé deux ans plus tôt à Washington doit mener Israéliens et Palestiniens vers la paix et favoriser la stabilisation du Proche-Orient après des décennies d’affrontements et de violences. Le moment est donc historique. Mais peu après son discours prononcé en tribune, Rabin est abattu par un extrémiste juif. Il ne s’en relèvera pas, le processus de paix non plus.
Comme je vous l’écrivais au tout début, le film d’Amos Gitaï se veut résolument politique et ambitionne de restituer quelques zones d’ombres qui subsistent vingt ans après la mort de celui qui était à deux doigts d’apporter la paix pour son pays. Durant deux heures trente, et à travers un mélange judicieux de fiction et d’images d’archives, le spectateur est plongé au cœur d’une société israélienne tiraillée entre sa volonté farouche de parvenir à un accord durable et la volonté tout aussi farouche de certains de capoter l’accord au nom de la sécurité et des intérêts de l’Etat hébreu. Face aux pressions des juifs orthodoxes, des manipulations et du cynisme à peine voilés de Benyamin Netanyahou, leader du Likoud (la droite nationaliste) et l’inflexibilité des colons de Gaza et de Cisjordanie, Rabin est une cible privilégié. De personnage politique et historique, il se transforme peu à peu en personnage dramatique qui avance vers son destin. Il n’y a pas trente-six solutions : soit il avance et il rentrera dans l’Histoire au risque de sa vie, soit il recule et enterre le processus.
Bien que la durée du film puisse effrayer certains, celle-ci se justifie aisément pour comprendre les mécanismes qui ont conduit à cette tragédie du 4 novembre 1995. Si l’identité de l’assassin est connue, on s’interroge toujours : y-a-t-il eu des failles dans la sécurité du premier ministre ? Pouvait-on tout simplement empêcher cela au regard du contexte d’extrême tension qui prévalait en Israël ? Une chose était sure, Rabin, à force de détermination pour réaliser l’impossible (à savoir la paix), s’est fait beaucoup d’ennemis qui avaient tous intérêt à ce que les accords d’Oslo ne soient jamais appliquées, quitte à zapper les fondements de l’Etat d’Israël.
Ce qui permet également à Amos Gitaï de s’interroger sur son propre pays et sur son évolution. Pour lui, l’assassinat d’Yitzhak Rabin constitue une rupture dans l’Histoire d’Israël, une sorte d’avant, après, avec un extrémisme politico-religieux de plus en plus irrésistible. Car en s’en prenant physiquement à lui, ce n’est pas seulement Rabin qu’on tue, c’est également tout espoir de paix juste et durable.
Ce film, qui se suit et vit tel un thriller, laissera pour le spectateur un goût amer quelque soit sa pensée politique, qu’il soit pro-Israélien ou pro-Palestinien, pro ou anti « Bibi ». Amer car on ne peut s’empêcher de penser que si Rabin était resté en vie, le Proche-Orient aurait eu un autre visage. Le monde aussi
Le dernier jour d’Yitzhak Rabin (Rabin, the last day)
Un film de : Amos Gitaï
Pays : Israël
Avec : Yitzhak Hiskiya, Pini Mittelman, Tomer Sisley…
Genre : thriller
Durée : 2h34
Sortie : le 16 décembre
Note : 17/20