Messieurs les censeurs bonsoir ?

En ces temps quelques peu compliqués, le cinéma reste un échappatoire privilégié, le lieu où on peut oublier les tourments de notre monde et de notre société. Un lieu de réflexion aussi censé nous aider à voir plus clair et à se montrer tolérant, qu’on aime ou qu’on déteste ce qu’on nous propose.

Mais cela risque de changer, et pas dans un sens positif. Ce mercredi, l’association Promouvoir a obtenu, en seconde instance l’annulation du visa d’exploitation de La Vie d’Adèle, chapitres 1 et 2, le film sulfureux mais magnifique d’Abdelatif Kechiche qui raconte (pour ceux qui l’auraient déjà oublié) l’histoire d’amour passionnelle entre Adèle et Emma. Le film, couronné d’une Palme d’Or à Cannes, fut interdit en salles aux moins de 12 ans avec avertissement en raison de scènes de sexe réalistes et explicites.

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Pas suffisant pour Promouvoir qui considère qu’en raison du caractère du film, ce dernier doit être frappé d’une interdiction plus élevée, à savoir une interdiction au moins de 18 ans. L’association n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle avait obtenu l’interdiction à ce niveau de certains films comme Irréversible et (surtout) de Love de Gaspard Noé sans oublier Nymphomaniac, vol 1 et 2. Dans l’ensemble des cas, le CNC avait du relever le niveau d’interdiction des films, ce qui n’était pas sans conséquence sur l’exploitation de ces derniers. Je pense notamment au film Love dont l’interdiction au mineurs de 18 ans lui empêchera probablement une diffusion sur petit écran.

Réaction de Vincent Maraval, le producteur de "Love" peu de temps après l'interdiction du film au moins de 18 ans prononcée par le Conseil d'Etat
Réaction de Vincent Maraval, le producteur de « Love » peu de temps après l’interdiction du film au moins de 18 ans prononcée par le Conseil d’Etat, en juillet dernier

Comme je viens de l’écrire, il ne s’agit pas d’un coup d’essai pour une association connue pour sa ténacité et son côté procédurier. Elle est surtout connue pour être proche des milieux d’extrême droite et catholiques intégristes, partant volontiers en guerre contre ce qui pourrait relever d’une atteinte aux bonnes mœurs. Dans le cas de la Vie d’Adèle, il semble que c’est l’histoire en elle-même qui a fini par gêner cette structure qui est donc partie en croisade une nouvelle fois, la lutte contre l’homosexualité étant son cheval de bataille.

Une tendance quelque peu inquiétante à l’heure où de l’entre-deux-tours des élections régionales qui ont vu une percée historique du Front national dans certaines régions. Michel Hazanavicius, président de l’ARP (association des réalisateurs producteurs) n’y est pas trompé en dénonçant « la connerie qui avance à grand pas » à l’heure où les idées de la clique Le Pen semblent prendre leur envol.

Sans compter que derrière Promouvoir se cache un certain Arthur Bonnet, un proche dans le passé de Bruno Mégret, ex-numéro deux du FN qui en 1999 fonde le Mouvement national républicain. Autant d’éléments qui en disent long sur les intentions et les motivations du personnage !

Une œuvre peut susciter de la polémique, elle peut même choquer et c’est d’ailleurs la raison d’être de celle-ci. Du moins, elle doit provoquer le débat. Or, en multipliant les procédures avec plus ou moins de succès, il faut (malheureusement) le reconnaître, Promouvoir vise justement à ce qu’il n’ait pas de débat et qu’on provoque une sorte de rétablissement de l’ordre moral. Le septième art est particulièrement ciblé comme il fut le cas des années auparavant, à la différence qu’on ne cherche pas à censurer des idées ou un point de vue mais des mœurs. La Vie d’Adèle ose parler de manière réaliste et forte d’une histoire d’amour passionnelle et fusionnelle entre deux femmes tout comme Nymphomaniac osait parler de l’itinéraire d’une nymphomane avec ses hauts et ses bas, et ses expériences borderline. Or, en donnant raison à Promouvoir, la justice risque de favoriser ce retour à l’ordre moral dans la mesure où les réalisateurs y réfléchiront à deux fois avant de présenter un film aux scènes très explicites.

Bien sur, nous n’en sommes pas encore là sans compter que des garde-fous et instances comme le CNC et le CSA existent pour justement exercer un contrôle via l’attribution des visas d’exploitation tout en garantissant la liberté de création et d’exploitation. A ce propos, l’annulation du visa pour La Vie d’Adèle ne devrait être sans grosse conséquence pour le film dans la mesure où il n’est plus exploité en salles depuis un moment. Malgré tout, cette décision juridique, même symbolique, est quelque peu synonyme de victoire pour ces groupes intégristes qui visiblement n’aime pas une certaine liberté artistique et d’expression surtout s’ils s’amusent à multiplier les procédures à l’avenir !

Mais bon, wait and see comme on dit !

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