Je ne sais pas si vous prenez le taxi lorsque vous êtes sur Paris ou ailleurs mais généralement, quand j’en prends un, j’en profite toujours pour discuter avec le chauffeur et/ou les passagers qui partagent la course. Et à l’intérieur d’une voiture, le temps d’un trajet on en apprend pas mal sur l’état de notre société, et de notre pays. Surtout lorsque les libertés fondamentales sont purement et simplement remises en cause, voire carrément abolies.
Jafar Panahi signe avec Taxi Téhéran une nouvelle prouesse en dépit de la censure qu’il subit au sein de son propre pays, l’Iran. En vrai-faux taximan, l’homme parcourt les rues de la capitale perse et rencontre au fur et à mesure de ses courses des hommes et femmes ordinaires qui se confient et donnent leur regard sur la société iranienne et son état. Un constat implacable, sans concession mais également avec rires et sourire. Tour à tour, on rencontre un jeune entrepreneur et une institutrice qui débattent de la peine de mort – l’Iran étant le second pays au monde qui exécute le plus de peines chaque année – , une femme qui emmène son mari en urgence à l’hôpital suite à leur accident en scooter, un vendeur de films piratés, deux vieilles dames superstitieuses qui doivent absolument se rendre avant midi sur une rivière pour y jeter un poisson rouge qui serait symbole de réincarnation, la nièce du taximan, un homme qui s’avère être opposant au régime et une actrice. Le tout sur le regard amusé de Jafar Panahi et du spectateur qui est littéralement embarqué à bord du taxi. Le film y est d’ailleurs entièrement tourné et intégralement en « extérieur » et m’a fait penser à une émission belge « Hep Taxi » tournée dans le même procédé et diffusée sur la RTBF.
Le pari est en effet très osé. Comme je l’ai écrit plus tôt, Jafar Panahi est un cinéaste interdit par le régime iranien et pouvant difficilement faire son métier, comme on peut s’en douter. Dès lors, réaliser un tel film peignant la société iranienne tout en dénonçant la censure s’avérait extrêmement compliqué mais c’était sans compter sur une certaine malice du réalisateur qui fait de son film une sorte de documentaire alors qu’il s’agit en réalité d’une véritable comédie dramatique. On tombe un peu dans le piège de l’illusion où on croit qu’on a affaire à la parole de citoyens qui se livrent en toute liberté et sans filets, comme si le taxi était un exutoire face à l’aspect étouffant et répressif du régime de la Révolution islamique.
Illusion car en réalité, les passagers qui se succèdent dans le taxi de Jafar Panahi sont des acteurs non-professionnels dont on ne sait pas quasiment rien sur eux, pour des raisons évidentes de sécurité. D’ailleurs, on sent le poids de la censure très présente dans le film, non pas que le réalisateur se censure lui-même mais qu’il est bien obligé d’en tenir compte pour livrer son message. Et au cas, où on l’aurait oublié, le générique de fin est là pour nous le rappeler !
Taxi Téhéran nous livre donc un portrait intéressant sur la société iranienne, une société qu’on connaît assez mal du fait de l’éloignement et qu’on soit de l’extérieur bien sur mais aussi en raison de l’embargo que connaît l’Iran depuis une dizaine d’années. Le film est résolument politique mais ne cherche pas non plus à tomber dans la caricature, il y a même comme de l’espoir et c’est avec intelligence que Jafar Panahi a filmé la société iranienne comme il le voyait.
Taxi Téhéran (Taxi/تاکسی)
Un film de : Jafar Panahi
Avec : Jafar Panahi (et des acteurs non-professionnels)
Pays : Iran
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h22
Sortie : le 15 avril
Note : 16/20